La mobilité internationale croissante des personnes transforme profondément le traitement fiscal des successions transfrontalières. L’expatriation, autrefois considérée comme un simple déplacement géographique, engendre désormais des conséquences fiscales complexes lors de la transmission du patrimoine. Depuis 2021, plusieurs réformes majeures ont modifié le cadre juridique international des successions impliquant des expatriés. Ces modifications touchent tant les conventions bilatérales que les législations nationales, créant un environnement juridique en constante mutation qui exige une compréhension approfondie des mécanismes fiscaux applicables aux patrimoines dispersés entre plusieurs juridictions.
Le cadre juridique renouvelé des successions internationales
Le règlement européen n°650/2012, entré en vigueur le 17 août 2015, constitue la pierre angulaire du droit successoral international en Europe. Il établit le principe selon lequel la loi applicable à l’ensemble de la succession est celle de la résidence habituelle du défunt au moment de son décès. Ce principe marque une rupture avec les systèmes traditionnels qui distinguaient entre biens mobiliers et immobiliers. Toutefois, ce règlement ne traite pas des aspects fiscaux, laissant cette prérogative aux États.
En matière fiscale, la territorialité de l’impôt demeure le principe directeur. Les États conservent leur souveraineté pour taxer les biens situés sur leur territoire ou les héritiers résidant dans leur juridiction. Cette situation engendre des risques de double imposition que les conventions fiscales bilatérales tentent d’atténuer.
Depuis 2021, plusieurs évolutions majeures ont modifié ce paysage juridique. La France a notamment revu ses conventions fiscales avec la Belgique, le Luxembourg et la Suisse, intégrant des mécanismes d’élimination de la double imposition plus efficaces. Ces conventions prévoient généralement l’imputation de l’impôt payé à l’étranger sur l’impôt dû en France, dans la limite de ce dernier.
Le Brexit a considérablement modifié la situation des expatriés britanniques. Le Royaume-Uni n’étant plus soumis au règlement européen, les successions impliquant ce pays relèvent désormais d’un régime hybride combinant règles nationales et conventions bilatérales. La convention franco-britannique de 1963 reste applicable mais son interprétation suscite des contentieux croissants.
L’émergence de registres internationaux d’actifs financiers et l’échange automatique d’informations entre administrations fiscales renforcent la transparence et limitent les possibilités d’optimisation abusive. Cette évolution s’inscrit dans un mouvement global de lutte contre l’évasion fiscale initié par l’OCDE et l’Union européenne.
La détermination du domicile fiscal du défunt expatrié
La qualification fiscale du statut du défunt constitue le préalable indispensable à toute analyse successorale internationale. Un expatrié peut conserver des liens avec son pays d’origine susceptibles de maintenir sa résidence fiscale dans ce pays, malgré son installation physique à l’étranger.
Les critères déterminants de résidence fiscale
Les critères de détermination varient selon les juridictions. En France, l’article 4 B du Code général des impôts retient trois critères alternatifs : le foyer permanent d’habitation, le lieu de séjour principal (plus de 183 jours par an), ou le centre des intérêts économiques. Aux États-Unis, la citoyenneté suffit à créer un lien fiscal, indépendamment de la résidence effective.
Les conventions fiscales internationales prévoient des règles de départage (tie-breaker rules) lorsqu’une personne peut être considérée comme résidente dans deux États simultanément. Ces règles examinent successivement le foyer permanent, le centre des intérêts vitaux, le lieu de séjour habituel, et la nationalité.
La jurisprudence récente montre une attention particulière aux éléments factuels au-delà des apparences juridiques. Dans l’arrêt Genovese du 25 octobre 2022, la Cour de cassation française a considéré qu’un contribuable installé à Dubaï mais conservant d’importants intérêts économiques en France demeurait fiscalement résident français.
Les conséquences pratiques pour la succession
La résidence fiscale du défunt détermine l’étendue de l’imposition successorale. Un résident fiscal français verra l’ensemble de son patrimoine mondial soumis aux droits de succession français, sous réserve des conventions fiscales internationales.
Les expatriés doivent être particulièrement vigilants aux règles anti-abus qui se multiplient. La France, par exemple, maintient pendant dix ans un droit d’imposer les donations et successions concernant des personnes ayant eu leur domicile fiscal en France (article 750 ter du CGI). Cette disposition crée une forme de résidence fiscale prolongée, souvent méconnue des expatriés.
La preuve du changement effectif de résidence fiscale repose sur le contribuable. Les administrations fiscales exigent un faisceau d’indices concordants : déménagement effectif, inscription consulaire, radiation des listes électorales du pays d’origine, etc. L’expatrié doit constituer un dossier probatoire solide pour éviter les contestations ultérieures.
L’imposition des actifs immobiliers dans un contexte international
Les biens immobiliers constituent généralement la part la plus visible et la moins mobile du patrimoine successoral. Leur imposition territoriale relève traditionnellement de la compétence exclusive de l’État de situation.
La France, comme la majorité des États, impose les immeubles situés sur son territoire, quel que soit le lieu de résidence du défunt ou des héritiers. Cette règle s’applique tant aux immeubles détenus directement qu’aux immeubles détenus indirectement via des sociétés à prépondérance immobilière.
La définition des sociétés à prépondérance immobilière varie selon les conventions fiscales. La convention franco-luxembourgeoise révisée en 2021 a ainsi élargi cette définition pour y inclure les sociétés dont plus de 50% de la valeur provient directement ou indirectement de biens immobiliers situés en France. Cette modification limite considérablement les schémas d’optimisation fiscale auparavant utilisés par les expatriés.
L’évaluation des biens immobiliers obéit à des règles nationales qui peuvent diverger. La France retient la valeur vénale au jour du décès, tandis que d’autres juridictions peuvent utiliser des valeurs cadastrales ou administratives. Ces différences d’évaluation peuvent créer des situations de double imposition partielle, lorsque l’imputation de l’impôt étranger est calculée sur une base différente.
Les abattements et exonérations applicables aux biens immobiliers varient considérablement selon les pays. Certains États accordent des régimes de faveur à la résidence principale (Royaume-Uni) ou aux biens ruraux (Australie), tandis que d’autres, comme la France, n’en prévoient pas.
La planification successorale immobilière internationale doit intégrer ces paramètres fiscaux divergents. Le recours à des structures de détention adaptées (sociétés civiles immobilières, trusts, fondations) peut, dans certains cas, optimiser la transmission tout en respectant les contraintes réglementaires de chaque juridiction concernée.
Le traitement fiscal des actifs financiers transfrontaliers
Contrairement aux biens immobiliers, les actifs financiers présentent une mobilité qui complexifie leur rattachement territorial. Leur imposition successorale varie considérablement selon les pays et les conventions fiscales applicables.
En l’absence de convention fiscale, le principe général veut que les actifs financiers soient imposés dans l’État de résidence du défunt. Toutefois, certains pays comme les États-Unis ou la France peuvent imposer ces actifs sur d’autres critères : la localisation du compte, le lieu d’émission des titres, ou la nationalité du défunt.
Les comptes bancaires détenus à l’étranger par des expatriés font l’objet d’une surveillance accrue depuis la mise en œuvre de l’échange automatique d’informations financières (norme CRS de l’OCDE). Cette transparence renforcée oblige les héritiers à déclarer l’intégralité des avoirs étrangers lors du règlement de la succession.
Les produits d’assurance-vie transfrontaliers soulèvent des questions spécifiques. Leur qualification juridique et fiscale varie selon les pays : contrat d’assurance en France, produit d’investissement en Allemagne, trust-like arrangement au Royaume-Uni. Cette divergence de qualification peut créer des situations de non-imposition ou, au contraire, de double imposition.
La jurisprudence récente montre une tendance à la requalification fiscale des contrats d’assurance-vie étrangers ne répondant pas aux critères du droit français. Dans l’arrêt du 12 janvier 2023, le Conseil d’État a confirmé que les contrats luxembourgeois comportant des fonds dédiés pouvaient, sous certaines conditions, être requalifiés en donations indirectes soumises aux droits de mutation.
Les cryptoactifs constituent un défi émergent pour les successions internationales. Leur localisation virtuelle et leur caractère parfois anonyme compliquent l’application des règles fiscales traditionnelles. La France a récemment clarifié leur régime successoral, les assimilant à des actifs incorporels imposables selon les règles de droit commun lorsqu’ils appartiennent à un résident fiscal français.
Stratégies patrimoniales adaptées au nouveau paysage fiscal
Face à la complexification du traitement fiscal des successions internationales, les expatriés doivent adopter des stratégies anticipatives adaptées à leur situation particulière.
Le testament international, conforme à la Convention de Washington de 1973, constitue un outil juridique précieux pour les expatriés. Il permet de désigner la loi applicable à la succession (dans les limites du règlement européen) et d’organiser la transmission des biens dans un contexte international. Le choix de la loi applicable peut avoir des incidences fiscales indirectes significatives en modifiant la dévolution successorale.
La professio juris (choix de loi applicable à la succession) offre aux expatriés la possibilité de choisir leur loi nationale pour régir l’ensemble de leur succession. Ce choix, purement civil, n’affecte pas directement la fiscalité mais peut modifier la répartition des biens entre héritiers et donc l’impact fiscal final.
Les donations avant décès permettent souvent d’optimiser la transmission dans un contexte international. Certaines juridictions, comme la France, prévoient des abattements renouvelables tous les 15 ans (100 000 € par enfant). D’autres, comme le Portugal, exonèrent totalement les donations aux descendants directs. L’articulation de ces régimes peut créer des opportunités légitimes d’optimisation.
La mise en place de structures patrimoniales adaptées (société civile, holding familiale, fondation) peut faciliter la transmission internationale en centralisant la gestion des actifs. Ces structures doivent toutefois être conçues en tenant compte des règles anti-abus qui se multiplient dans les législations nationales.
- Pour les patrimoines immobiliers internationaux, la détention via des sociétés civiles immobilières françaises peut simplifier la transmission et éviter l’application de certaines règles successorales étrangères contraignantes.
- Pour les actifs financiers, le recours à des contrats d’assurance-vie luxembourgeois ou irlandais peut, dans certains cas, offrir un cadre juridique et fiscal avantageux, sous réserve du respect des obligations déclaratives.
La planification successorale internationale exige désormais une approche multidisciplinaire, combinant expertise juridique, fiscale et financière. Les expatriés doivent régulièrement réviser leur stratégie patrimoniale pour l’adapter aux évolutions législatives et à leur situation personnelle.
Vers une harmonisation des pratiques fiscales successorales?
L’évolution récente du droit fiscal international des successions révèle des tendances contradictoires entre souveraineté fiscale et besoin d’harmonisation.
Les tentatives d’harmonisation au niveau européen se heurtent à la réticence des États membres à céder leur compétence en matière fiscale. La proposition de règlement sur les aspects fiscaux des successions transfrontalières, présentée en 2011, n’a jamais abouti. Chaque État conserve sa liberté de définir l’assiette, les taux et les modalités d’imposition des successions.
En revanche, la coopération administrative entre autorités fiscales s’intensifie. L’échange automatique d’informations, initialement limité aux comptes bancaires, s’étend progressivement à d’autres types d’actifs. Cette transparence accrue réduit les possibilités d’évasion fiscale mais ne résout pas les problèmes de double imposition.
Les travaux de l’OCDE contribuent à l’émergence de standards internationaux en matière de fiscalité successorale. Le modèle de convention fiscale sur les successions et donations, bien que non contraignant, influence les négociations bilatérales entre États. Il promeut des mécanismes d’élimination de la double imposition plus efficaces.
La jurisprudence européenne joue un rôle croissant dans l’encadrement des pratiques fiscales nationales. La Cour de Justice de l’Union Européenne a condamné plusieurs discriminations fiscales entre résidents et non-résidents en matière successorale (arrêt Welte c. Allemagne, 2013). Cette jurisprudence impose une convergence minimale des pratiques au sein de l’Union.
La mobilité internationale croissante des personnes et des capitaux crée une forme de concurrence fiscale entre États. Certains pays comme le Portugal ou l’Italie ont introduit des régimes fiscaux favorables pour attirer les expatriés fortunés. Cette concurrence pourrait, à terme, contraindre les États à harmoniser leurs pratiques pour éviter une érosion de leurs bases fiscales.
Dans ce contexte évolutif, les expatriés doivent adopter une approche pragmatique et vigilante. La planification successorale internationale exige désormais un suivi régulier des évolutions législatives et conventionnelles, ainsi qu’une coordination étroite entre conseillers juridiques et fiscaux dans les différents pays concernés.
