La question de l’exclusion d’un adhérent d’un fonds de pension pour fausse déclaration constitue un enjeu juridique majeur à l’intersection du droit des assurances, du droit social et de la protection des droits fondamentaux. Cette problématique soulève des interrogations complexes sur l’équilibre entre la nécessaire protection des intérêts collectifs du fonds et les droits individuels des adhérents. Dans un contexte où la sécurisation des retraites devient une préoccupation croissante, les litiges liés aux exclusions pour fausses déclarations se multiplient, forçant la jurisprudence à préciser progressivement les contours de cette sanction particulièrement sévère.
Fondements juridiques de l’exclusion pour fausse déclaration
L’exclusion d’un adhérent d’un fonds de pension repose sur plusieurs fondements légaux qui encadrent strictement cette procédure. Selon l’article L.113-8 du Code des assurances, applicable par analogie aux fonds de pension, la nullité du contrat peut être prononcée en cas de réticence ou de fausse déclaration intentionnelle de l’assuré, lorsque cette omission ou déclaration change l’objet du risque ou en diminue l’opinion pour l’assureur. Cette disposition constitue la pierre angulaire du mécanisme d’exclusion.
Le Code de la sécurité sociale complète ce dispositif, notamment dans ses articles relatifs aux régimes complémentaires de retraite. L’article L.932-7 précise que la garantie accordée au participant par l’institution de prévoyance ne peut être réduite ou écartée que par les exclusions prévues par le code ou celles prévues explicitement dans le règlement ou le contrat.
La loi PACTE de 2019 a renforcé le cadre juridique des plans d’épargne retraite, incluant des dispositions relatives aux sanctions en cas de manquements graves de l’adhérent, dont les fausses déclarations. Cette réforme a harmonisé les règles applicables aux différents produits d’épargne retraite, y compris concernant les modalités d’exclusion.
Sur le plan jurisprudentiel, la Cour de cassation a développé une interprétation stricte des conditions permettant l’exclusion. Dans un arrêt du 15 février 2017, la deuxième chambre civile a rappelé que la fausse déclaration doit présenter un caractère intentionnel pour justifier l’exclusion, et que cette intention frauduleuse doit être prouvée par le fonds de pension.
Caractéristiques de la fausse déclaration sanctionnable
Pour qu’une fausse déclaration puisse justifier une exclusion, plusieurs critères cumulatifs doivent être réunis :
- Le caractère intentionnel de la fausse déclaration
- L’influence déterminante sur l’appréciation du risque
- La matérialité et la preuve de la fausse déclaration
- Le respect d’un délai de contestation (généralement 2 ans depuis la découverte)
La jurisprudence exige que l’organisme gestionnaire démontre l’existence d’une volonté délibérée de tromper. Dans un arrêt du 19 mars 2020, la Cour d’appel de Paris a refusé de valider l’exclusion d’un adhérent qui avait omis de mentionner un problème de santé, car le caractère intentionnel n’avait pas été établi avec certitude.
En pratique, les fausses déclarations concernent principalement l’état de santé, la situation professionnelle ou les revenus de l’adhérent. Ces éléments sont considérés comme substantiels car ils déterminent les conditions d’admission au fonds et le calcul des cotisations et prestations futures.
Procédure d’exclusion et garanties procédurales
La procédure d’exclusion d’un adhérent pour fausse déclaration obéit à un formalisme strict destiné à protéger les droits de la défense. Cette procédure trouve sa source dans les statuts et le règlement intérieur du fonds de pension, qui doivent préciser les motifs d’exclusion et les modalités procédurales applicables.
En premier lieu, le fonds doit adresser une notification préalable à l’adhérent concerné, l’informant des griefs formulés à son encontre. Cette étape préliminaire, consacrée par la jurisprudence (Cass. soc., 12 mai 2010), constitue une application du principe du contradictoire. L’adhérent doit disposer d’un délai raisonnable, généralement fixé entre 15 et 30 jours, pour présenter ses observations écrites ou orales.
La décision d’exclusion relève généralement de la compétence du conseil d’administration ou d’une commission disciplinaire spécifique, conformément aux statuts du fonds. Cette instance doit examiner l’ensemble des éléments du dossier, y compris les arguments de défense présentés par l’adhérent. La décision doit être motivée et notifiée à l’intéressé par lettre recommandée avec accusé de réception.
Un recours interne est habituellement prévu avant toute saisine judiciaire. Ce recours peut prendre la forme d’un appel devant l’assemblée générale du fonds ou devant un comité spécifique de recours. Cette voie de recours interne constitue souvent une condition préalable à la saisine des juridictions.
Exigences procédurales et droits de la défense
Les tribunaux exercent un contrôle rigoureux sur le respect des garanties procédurales lors de l’exclusion. Dans une décision du 7 novembre 2018, le Tribunal de grande instance de Paris a annulé une exclusion au motif que l’adhérent n’avait pas bénéficié d’un délai suffisant pour préparer sa défense.
Les principes fondamentaux qui gouvernent la procédure incluent :
- Le respect du principe du contradictoire
- La motivation obligatoire de la décision d’exclusion
- L’impartialité de l’instance décisionnaire
- La proportionnalité de la sanction par rapport à la gravité des faits
La CEDH (Cour européenne des droits de l’homme) considère que ces procédures d’exclusion, bien que relevant formellement du droit privé, doivent respecter les garanties fondamentales du procès équitable prévues à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, notamment lorsque l’exclusion emporte des conséquences graves pour les droits sociaux de l’intéressé.
Le non-respect de ces exigences procédurales expose le fonds à l’annulation judiciaire de la décision d’exclusion, avec d’éventuelles conséquences indemnitaires. La Cour de cassation a ainsi jugé, dans un arrêt du 24 septembre 2019, qu’une exclusion prononcée sans respect des droits de la défense constituait une faute engageant la responsabilité civile du fonds.
Conséquences juridiques et financières de l’exclusion
L’exclusion d’un adhérent d’un fonds de pension entraîne des conséquences juridiques et financières considérables qui varient selon la nature du fonds, le motif précis de l’exclusion et les stipulations contractuelles. Cette sanction représente une rupture définitive du lien contractuel entre l’adhérent et le fonds.
Sur le plan juridique, l’exclusion pour fausse déclaration s’analyse généralement comme une nullité du contrat d’adhésion, conformément aux principes énoncés à l’article 1178 du Code civil. Cette qualification emporte des conséquences rétroactives : le contrat est réputé n’avoir jamais existé. Toutefois, la jurisprudence a nuancé cette approche en matière de fonds de pension, considérant parfois qu’il s’agit plutôt d’une résiliation pour l’avenir, notamment lorsque l’adhésion s’est prolongée sur une longue période avant la découverte de la fausse déclaration.
Financièrement, l’exclusion entraîne généralement la perte des droits accumulés et peut s’accompagner de différentes mesures :
- La confiscation totale ou partielle des cotisations versées
- L’impossibilité d’obtenir le versement des prestations de retraite
- Le remboursement des prestations indûment perçues
- D’éventuelles pénalités financières prévues au règlement
La Cour de cassation, dans un arrêt du 5 mars 2015, a précisé que la restitution des cotisations versées dépend de la bonne ou mauvaise foi de l’adhérent. En cas de fraude avérée, le fonds peut légitimement conserver tout ou partie des sommes versées à titre de dommages-intérêts.
Impact sur la protection sociale de l’adhérent
L’exclusion peut créer une rupture dans la continuité de la protection sociale complémentaire de l’adhérent. Cette situation est particulièrement préoccupante pour les personnes proches de l’âge de la retraite, qui peuvent se retrouver privées d’une part significative de leurs revenus futurs.
Dans certains cas, l’adhérent exclu peut solliciter son admission à un autre fonds de pension, mais il devra impérativement mentionner cette exclusion antérieure lors de sa nouvelle demande d’adhésion. Une omission à ce sujet constituerait une nouvelle fausse déclaration susceptible d’entraîner une seconde exclusion.
La CJUE (Cour de Justice de l’Union Européenne) a eu l’occasion de se prononcer sur la compatibilité de certaines conséquences de l’exclusion avec le droit européen, notamment dans l’arrêt Eschig du 10 septembre 2009. Elle a considéré que les sanctions attachées à l’exclusion ne devaient pas porter une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux de l’assuré, notamment son droit à une protection sociale adéquate.
Contentieux et voies de recours contre l’exclusion
L’adhérent exclu d’un fonds de pension dispose de plusieurs voies de recours pour contester cette décision. Le contentieux en la matière se caractérise par sa technicité et la diversité des juridictions potentiellement compétentes.
En première instance, la compétence juridictionnelle varie selon la nature du fonds de pension. Pour les fonds relevant du Code des assurances, le tribunal judiciaire est compétent. Pour les institutions de prévoyance régies par le Code de la sécurité sociale, le contentieux relève parfois du pôle social du tribunal judiciaire. Les fonds établis sous forme d’association ou de mutuelle peuvent relever d’autres règles de compétence.
L’adhérent dispose généralement d’un délai de deux ans pour contester judiciairement la décision d’exclusion, conformément à la prescription biennale de l’article L.114-1 du Code des assurances. Toutefois, ce délai peut être porté à cinq ans si le litige relève du droit commun.
Les moyens invoqués par les adhérents exclus sont multiples et concernent tant le fond que la forme de la décision :
- Absence de caractère intentionnel de la fausse déclaration
- Défaut de preuve de la matérialité des faits reprochés
- Non-respect des garanties procédurales
- Prescription du droit d’agir du fonds
- Disproportion manifeste entre la faute et la sanction
Les tribunaux exercent un contrôle approfondi sur les décisions d’exclusion. La Cour de cassation a développé une jurisprudence exigeante, notamment dans un arrêt du 28 juin 2018, où elle a rappelé que la charge de la preuve de l’intentionnalité de la fausse déclaration incombe au fonds de pension et que cette preuve ne peut résulter de simples présomptions.
Recours spécifiques et modes alternatifs de règlement des conflits
Outre les recours judiciaires classiques, l’adhérent peut saisir le Médiateur de l’Assurance ou le Médiateur de la protection sociale selon la nature du fonds concerné. Cette médiation préalable est devenue obligatoire depuis la réforme de 2019 pour de nombreux litiges dans ce domaine.
L’adhérent peut solliciter l’intervention de l’ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution) si l’exclusion résulte d’une pratique commerciale déloyale ou d’un manquement aux obligations d’information et de conseil du fonds.
En cas de litige transfrontalier impliquant un fonds de pension établi dans un autre État membre de l’Union européenne, des mécanismes spécifiques de coopération entre autorités nationales peuvent être mobilisés, conformément à la directive IORP II sur les institutions de retraite professionnelle.
La jurisprudence admet de plus en plus largement le recours à l’arbitrage pour ce type de litiges, sous réserve que cette voie de règlement soit expressément prévue par les statuts du fonds et qu’elle n’entrave pas l’accès effectif au juge.
Vers une évolution de la protection des adhérents face à l’exclusion
Le régime juridique de l’exclusion des fonds de pension pour fausse déclaration connaît actuellement des évolutions significatives, sous l’influence conjuguée du droit européen, des réformes législatives nationales et d’une jurisprudence de plus en plus protectrice des droits des adhérents.
La directive européenne sur la distribution d’assurances (DDA), transposée en droit français en 2018, a renforcé les obligations d’information et de conseil des distributeurs de produits d’épargne retraite. Cette évolution limite indirectement les possibilités d’exclusion en imposant aux fonds de pension une vigilance accrue lors de la phase précontractuelle, réduisant ainsi les risques de fausses déclarations involontaires de l’adhérent.
En droit interne, la loi PACTE de 2019 a introduit de nouvelles garanties pour les titulaires de plans d’épargne retraite, notamment un encadrement plus strict des clauses d’exclusion dans les règlements des fonds. Ces dispositions s’inscrivent dans une tendance générale à l’uniformisation et au renforcement de la protection des épargnants.
La jurisprudence joue un rôle moteur dans cette évolution protectrice. Dans un arrêt remarqué du 12 avril 2021, la Cour de cassation a consacré un véritable droit à la proportionnalité de la sanction, en jugeant que l’exclusion définitive constituait une mesure excessive face à une fausse déclaration sans conséquence significative sur l’équilibre du fonds.
Perspectives d’évolution et recommandations pratiques
Plusieurs pistes d’évolution se dessinent pour l’avenir :
- L’instauration de sanctions intermédiaires, moins radicales que l’exclusion
- Le développement de mécanismes de régularisation permettant à l’adhérent de rectifier sa situation
- Le renforcement des garanties procédurales, notamment par l’intervention obligatoire d’une instance collégiale indépendante
- L’encadrement légal des conséquences financières de l’exclusion
Pour les professionnels du secteur, plusieurs recommandations pratiques peuvent être formulées :
Les fonds de pension devraient réviser leurs questionnaires d’adhésion pour les rendre plus clairs et précis, limitant ainsi les risques d’erreur ou d’incompréhension. Ils gagneraient à mettre en place des procédures d’alerte précoce permettant d’identifier et de rectifier les anomalies avant d’envisager une exclusion.
Les adhérents, quant à eux, doivent redoubler de vigilance lors de la phase d’adhésion, en conservant la preuve des informations communiquées et en signalant spontanément tout changement de situation susceptible d’affecter leur relation avec le fonds.
Les avocats spécialisés observent une judiciarisation croissante de ces litiges et développent des stratégies contentieuses innovantes, notamment fondées sur le droit de la consommation ou sur les principes fondamentaux du droit européen.
La CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) s’intéresse de plus en plus à la question du traitement des données personnelles par les fonds de pension, notamment dans le cadre des procédures d’exclusion. Cette dimension du litige pourrait prendre une importance croissante à l’avenir, avec l’émergence possible d’un droit à l’oubli spécifique pour les adhérents ayant fait l’objet d’une exclusion.
